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« TROPIQUE DE LA VIOLENCE »

Un spectacle qui nous plonge dans l’enfer de Mayotte

Mardi 27 septembre au soir, tous les élèves de première et terminale ont été invités à assister à une représentation au Théâtre 13 Bibliothèque, à deux pas de l’École. Une quarantaine d’élèves ont pu profiter gracieusement du spectacle, l’école ayant mobilisé la part collective du pass Culture pour financer la sortie. Cette dernière, créée en janvier 2021, est un crédit alloué aux établissements scolaires pour soutenir l’éducation artistique et culturelle devenue une des priorités du ministère de l’Éducation Nationale.

 « Tropique de la violence » est une performance physique et artistique subjuguante, qui mêle art vidéo, chant, danse, musique live (batterie et guitare électrique), dans laquelle l’eau nous éclabousse et inonde la scène. Dans cette pièce, les élèves ont découvert un autre visage de Mayotte devenue le 101ème département français en 2011. L’image de carte postale de l’île a littéralement volé en éclat. Le plus beau lagon du monde est aussi un enfer à ciel ouvert, une île surpeuplée d’une pauvreté extrême où la violence et la colère règnent en maître, où la police et les associations humanitaires, complètement dépassées, ne parviennent plus à exercer leurs missions. Mayotte souffre en outre d’une immigration massive depuis Anjouan, une île voisine des Comores. Des milliers de personnes désespérées tentent de se réfugier dans les bras de Marianne, rêvant d’y trouver réconfort, sécurité, prospérité. Tous prennent le large dans des barques de fortune, les « kwassa-kwassa », et y perdent la vie. Le lagon n’est plus que cimetière. Depuis 2019, le droit du sol ne s’y applique plus automatiquement. La pièce raconte l’histoire de Moïse, un enfant de migrant né à Mayotte, dans la plus grande maternité de France. Sa mère le confie à une infirmière pour lui assurer une vie meilleure. Moïse grandit alors parmi les « blancs », s’imprègne de leur culture, reçoit leur éducation.

Pourtant, sa couleur lui rappelle sa différence et il devient rapidement un adolescent hanté par ses origines. Quand sa mère adoptive meurt accidentellement, il est âgé de 15 ans et devient un de ces nombreux « enfants isolés » qui vivent sur l’île sans représentant légal. Il est contraint de se mettre sous la protection d’un chef de gang, Ismail Saïd, alias Bruce le roi de Gaza (bidonville mahorais). Bruce est la version sombre de Batman. Il est grand, puissant, guidé par la colère, la rancœur, l’amertume et le cynisme. La vie sur l’île l’a transformé en bête sauvage. Il pille, il tue, il viole. Moïse lui est soumis et subit des maltraitances quotidiennes. Malgré les menaces qui pèsent sur lui, Moïse entretient des relations clandestines avec une association chargée de prendre soin des « enfants isolés ». Moïse n’est ni blanc ni migrant. Coincé entre deux mondes, il ne parvient pas à renoncer à la vie libre à laquelle il a goûté pendant son enfance. Quand Bruce découvre la « trahison » de Moïse, il lui inflige l’humiliation suprême. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Moïse pointe une arme sur Bruce et l’abat d’une balle dans la poitrine.

« Tropique de la violence » est une pièce d’une très grande richesse à bien des égards, et pour que les élèves puissent en tirer un vrai bénéfice, il était indispensable d’organiser une rencontre avec son metteur en scène, Alexandre Zeff. Il nous a rejoint dans l’amphithéâtre de l’école, à 17h30, un peu avant le spectacle, accompagné d’Yselle Bazin, chargée des relations avec le public au Théâtre 13. «Tropique de la violence» est d’abord un roman de la journaliste Natacha Appanah. Après lecture, Alexandre décide de l’adapter au théâtre. Il explique avoir choisi les passages du roman les plus dynamiques et les moins descriptifs, tout en préservant la cohérence du récit. C’est pour rappeler que c’est une adaptation d’un roman que très souvent, les acteurs parlent des personnages qu’ils incarnent à la 3ème personne.

Alexandre évoque ses 2 séjours immersifs de 3 semaines à Mayotte, qu’il a réalisés dans les premiers temps de la construction de la pièce, pour y rencontrer ses habitants, pour s’imprégner de l’atmosphère de l’île, pour prendre des photos, qu’ils exposent dans les théâtres dans lesquels se produit la pièce, et des vidéos qu’ils exploitent dans le spectacle. Il explique avoir fait le choix délibéré d’une mise en scène très chargée, au risque de déplaire, en sollicitant des techniques artistiques multiples (musique, chant, danse), des jeux d’eau et de lumière, avec la volonté de donner de la puissance et de l’énergie à sa pièce. Il assume clairement la volonté de faire de « Tropique de la violence » une pièce documentaire qui dénonce la situation socio-économique à Mayotte et l’inaction du gouvernement français à gérer les problèmes sur place, mais dans le même temps, il ne renonce pas à la fiction et n’oublie pas de faire sourire le spectateur, par exemple, en habillant Bruce en Batman mangeant des pop-corn. « Tropique de la violence » est donc un docufiction.

Lorsqu’Alexandre évoque le chemin parcouru pendant 3 ans pour construire la pièce, nous faisons rapidement le parallèle avec la démarche scientifique au laboratoire. Construire une pièce de théâtre, c’est d’abord concevoir sur le papier en se nourrissant de ressources variées, puis explorer, expérimenter, procéder par tâtonnement-erreur sur la scène, jusqu’à obtenir l’effet désiré. Ainsi, si le roman de Natacha Appanah a inspiré Alexandre, la pièce possède sa « chimie propre ». L’Art emprunte à la Science jusque dans le vocabulaire.

Enfin, Alexandre nous explique comment la pièce est avant tout le fruit d’un travail d’équipe dans lequel régisseur, scénographe, costumier, comédiens coopèrent et apportent chacun leur pierre à l’édifice.

Après un tel spectacle, un bord plateau fut bienvenu. Alexandre et les 5 comédiens de la pièce sont venus nous rejoindre dans la tribune à la fin du spectacle. Lors de nos échanges, nous avons notamment évoqué les performances physiques des 2 acteurs danseurs Mexianu Medenou, alias Bruce, et Alexis Tieno, alias Moïse. Impressionnés par leur prestation, nous leur avons demandé comment ils se préparent physiquement avant chaque représentation.

Si Alexis alterne entre sieste et pompes, Mexianu fait quelques salutations au soleil qu’il emprunte au Yoga. On comprend alors le lien fort qui unit Art et Sport. Mme Bonifas, le professeur de français à l’école, n’oublie cependant pas de rappeler que ce moment est avant tout celui des élèves, pour partager leurs émotions et livrer leurs impressions sur le spectacle. Parce qu’à chaud, l’exercice n’est pas évident et que la présence de l’équipe artistique peut être intimidante, nous n’insistons pas lourdement mais nous leur demandons de nous faire un retour écrit par mail. Voici 2 témoignages personnels et authentiques qui montrent combien le spectacle a plu :

« C’était une super belle mise en scène. J’ai beaucoup aimé les images projetées sur les écrans à l’avant et à l’arrière de la scène ainsi que l’effet rendu par la batterie perchée au centre du décor et la guitare placée en bas à droite, sans parler de l’eau qui était incroyablement bien utilisée sur laquelle dérivaient des rochers. Les vidéos projetées rendaient bien compte de la vie quotidienne des mahorais. C’était très émouvant. Les acteurs ont formidablement bien joué. C’était franchement un très beau spectacle. »

Élève de 1ère STL Biotechnologies

« J’ai beaucoup apprécié cette pièce, de la mise en scène au jeu des acteurs. L’eau sur scène et les danses dans l’eau étaient très impressionnantes ainsi que le solo de batterie. L’histoire était très profonde et les comédiens ont bien réussi à incarner leur personnage. Les émotions et expressions étaient fortes et j’ai plusieurs fois eu les larmes aux yeux. La pièce a su nous sensibiliser à la situation de Mayotte. La musique était géniale. C’était une expérience très puissante même si de temps en temps, j’ai éprouvé une surcharge sensorielle. Mention spéciale pour les pop-corn jetés dans la salle, à la tête des spectateurs.»

Élève de 1ère STL Sciences Physiques et Chimiques du Laboratoire